Les Cahiers de l’égaré

1 Décembre 2014
Publié dans spectacles

« Orekhov »
Par la Compagnie Ainsi de suite
Théâtre Ainsi de Suite
Aix-en-Provence

Un spectacle d’1 H 30 pour nous raconter l’évolution d’un officier du KGB, Viktor Orekhov qui, découvrant L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne, (Alexandre était appelé l’araignée par le KGB) dont il est chargé d’empêcher la diffusion et la sortie en Occident, va devenir dissident à son tour c’est-à-dire aider les dissidents à échapper aux contrôles, être arrêté en 1978, déporté jusqu’en 1986, devenir un Zek. Il sera à nouveau arrêté en 1995 puis libéré 3 ans après, sera exfiltré vers les États-Unis, un contrat ayant été mis sur lui, où il vit encore avec sa femme, protégés par la CIA.

C’est un spectacle qui fait penser au remarquable film, La vie des autres. Spectacle réussi, au millimètre, avec une équipe travaillée par la passion et l’exigence, de l’écriture à la réalisation. Écriture à plusieurs mains qui mériterait l’édition. Un petit bémol : à la fin, quand Orekhov porte un regard, deux regards, sur son histoire, il me semble qu’il met un petit peu trop les points sur les i ; il doit nous laisser questionner son cheminement parce que c’est nous qui nous mettrons alors en jeu. Ne nous mâche pas le travail, Viktor, on n’avancera pas.

Jeu d’acteurs excellent. Mise en scène au service du récit. Scénographie complexe avec changements incessants sans accrocs pour différencier lieux et moments, nombreux.
Musiques, scènes du quotidien, fêtes rendent bien l’univers soviétique et derrière lui, le traditionnel univers russe avec son sens des blagues, sa chaleur communicative, son goût immodéré pour la vodka, la danse, les baisers sur la bouche, les verres jetés et la chanson reprise en choeur.
La prestation de Dasha Baskakova, l’âme russe de ce spectacle, est comme d’habitude saisissante de puissance et d’émotion. Jacques Maury en Orekhov est habité. Obligé d’être malin pour tromper le KGB, il court le risque de ne pas être cru par les dissidents. Pas facile d’être double. Sept acteurs sur le plateau. Pas un en-dessous. Tous à la hauteur de leur personnage.

Pour ma part, ce que je trouve actuel, c’est le cheminement d’une conscience, amenée à faire le grand écart entre le bourreau et la victime.
Le prix payé par Orekhov est élevé même s’il est encore en vie. Une conscience morale et politique prend conscience, puis ne se laisse pas museler. En pleine polémique sur Exhibit B qui semble poser la question du regard qu’on porte sur l’autre, sur comment on est ou pas modifié par le regard de l’autre, ce spectacle montre bien comment peut évoluer le regard d’un agent du KGB sur un dissident, par contraste avec le comportement de deux autres agents du KGB dont un sous-fifre, un minus qui veut grandir, joué par un grand sec. Tordant et glaçant.

J’ai cessé d’être expert pour la DRAC en 2002, l’ayant été une douzaine d’années. Mais sûr, je serais allé voir le spectacle et l’aurais défendu. Et directeur, je l’aurais programmé.

Jean-Claude Grosse

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